Recherche

Catégorie

Textes

Conte archéologique du futur

Conte créé pour Les dimanches du conte, 18 avril 2021
https://www.dimanchesduconte.com/archives/tag/julie-dirwimmer

Hier je passais devant un croque livre dans Hochelaga, vous savez, les petites maisons dans lesquelles on échange des livres avec les gens du quartier. D’habitude je me contente de déverser une coupe d’ouvrages qui ne font plus mon affaire, mais cette fois-ci, un livre a retenu mon attention. « Histoire géologique de la Terre, du 20e siècle à nos jours » . Du 20e siècle à nos jours, ça fait 120 ans, pas gros comme histoire géologique… Seulement que l’ouvrage est daté de 120 024 après Jésus-Christ.

Plusieurs questions déboulent dans ma tête : Comment ce livre nous est-il parvenu ? Est-ce qu’il y a une fenêtre spatio-temporelle cachée à l’intérieur de l’Église Très-Saint-Nom-de-Jésus ? Mais surtout, est-ce possible qu’on publie encore des livres en 120 024 ? Et qu’on parle encore de Jésus-Christ au 121e siècle?

Enfin, je ne m’arrête pas à ça et je me mets à lire le truc. J’ai tout dévoré d’une traite. Les histoires de géologues, ça s’écoute comme une série télé. En rafale. Chaque saison, c’est une ère géologique, pendant laquelle la Terre produisait un peu le même pattern de roches. Puis d’un coup bam! Dernier épisode de la saison, les roches changent, c’est le début d’une nouvelle ère. Et dans chaque ère géologique, il y a différentes périodes. Au lieu d’appeler ça Saison 3 – épisode 2, on appelle ça, Ère Mézozoique – Période du crétacé. Et les périodes sont elles aussi divisées en époques, crétacé inférieur, crétacé supérieur… Et les géologues sont les auteurs comme ça d’une grande histoire qui ne finit jamais.

Bon, avant de lire le livre, je savais déjà quelques trucs sur les géologues. Je savais, par exemple, qu’ils aiment beaucoup s’obstiner entre eux. Certains pensent qu’on serait entrés dans une nouvelle époque géologique : celle de l’anthropocène – l’ère des humains, mais d’autres ne sont pas d’accord avec ça et ça se chicane dans les congrès à coups de carottes glaciaires et de rapports de la commission internationale de stratigraphie. Certains pensent que notre activité serait tellement intense qu’on aurait, pour vrai, changé la face du monde. On fait disparaitre des espèces, on fait augmenter la température de l’atmosphère, et ça, ça va laisser des traces pour toujours dans les entrailles de la Terre. Ce sera notre héritage, comme l’expression ultime de la domination des humains sur leur environnement. Mais si j’étais nous, je ne nous réjouirais pas trop vite d’avoir une époque géologique a notre nom, parce que l’histoire de l’espèce ultra-dominante qui a fini par se planter, c’est déjà arrivé dans le passé. Il y a 2,3 milliards d’années. Les cyanobactéries, toutes toutes petites affaires dans les océans. Premiers organismes vivants ayant trouvé la recette de la photosynthèse : en gros elles transforment le CO2 en O2. Pour le coup, elles étaient vraiment en avance sur les autres espèces, fait qu’elles se sont reproduites à toute allure jusqu’au moment de « la grande oxydation ». Elles ont tellement fait augmenter le taux d’oxygène dans l’air qu’elles ont fini par s’intoxiquer avec leurs propres déchets. Il en existe encore aujourd’hui, des cyanobactéries, elles sont obligées de vivre cachées derrières des carapaces de calcaire ou collées à des lichens, comme des zombies pour survivre aux conditions qu’elles ont-elles-mêmes créées. Alors bon, on va se garder une petite gêne avant de célébrer le fait qu’on ait un intervalle géologique à notre nom.

Alors selon l’auteur, en 120 024 on est dans la période du génozoique, époque du webocène dématérialisé.

En fait, vers les années 2200, nous sommes assez brusquement sortis de l’anthropocène inférieur pour passer dans le génozoïque. Il faut dire que la Terre s’était réchauffée de 18 degrés en moins de 2 siècles. Il n’y avait plus de glaciations. C’est arrivé tellement vite que beaucoup d’espèces dites « sauvages » n’ont pas eu le temps de s’adapter. Elles ont disparu au profit d’espèces dites « artificielles », un peu rafistolées par le génie humain. Comme Ursus maritimus maritimus. L’ours blanc… qui est alors connu sous le nom de Ursus maritimus  monsantus, du nom de l’entreprise qui a fourni le génie génétique. Beau placement produit, quand même.

Et en 2200, on était vraiment trop nombreux, et pour se protéger des pandémies et de mouvements migratoires de réfugiés climatiques, certains ont fait modifier leur génome pour coloniser de nouvelles planètes plus facilement. Homo Sapiens Sapiens avait laissé sa place à Homo Sapiens Stellus, survivant tant bien que mal dans des conditions qui rappellent celles de « la grande oxydation ». On est vraiment mauvais pour tirer des leçons de l’ histoire.

Selon l’auteur, c’est aussi à cette même période, vers les années 2000 – 2100, qu’on voit émerger une toute nouvelle couche géologique. On étudiait déjà la biosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère… À cela est venu s’ajouter la numérisphère. La couche numérique du monde, la couche du web. Selon lui, on aurait retrouvé les premières traces d’intelligence artificielle primitives vers les années 2000, et tout au long du webocène inférieur, la numérisphère va évoluer. Cinq grands continents vont se former, ceux des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Ça n’a pas été long avant que ces cinq-là fassent entrer l’humanité dans une guerre effroyable et ce, jusqu’au « grand effaçage » de l’an 10 000. « Le grand effaçage », c’est l’explosion d’une bombe numérique qui a emporté quasiment toutes les données avec elle. Et on a du tout recommencer. C’est ça qui nous a fait passer du webocène inférieur au webocène supérieur. Décidément, on n’apprend vraiment rien de notre passé.

Les scientifiques se sont alors attelés à étudier les dernières traces de ce monde numérique perdu du webocène inférieur. Ils ont bien retrouvé quelques disquettes, des clés USB, tout à fait illisibles. Par contre, ils ont retrouvé des traces d’échanges datés du 22e siècle, que des utilisateurs avaient pris la peine d’imprimer (parce que oui, au 22e siècle, il y a encore des gens qui imprimaient leurs courriels). Il s’agissait principalement de factures, de reçus de transaction… Mais ce qui a retenu l’attention des archéologues, c’est cet échange entre un certain bouleboule24 et un prénommé sexy450. Bien que assez fragmentaires, les échanges étaient quand même assez intimes, mettant en scène, je cite, « des chattes et des minous comme figure fétichiste d’un acte pré-copulatoire ». En tous cas bouleboule24 et sexy450 ont vraiment permis aux archéologues de comprendre à quel point les humains confiaient l’intégralité de leur vie aux GAFAM : des résultats médicaux, des photos de leur pénis…

Les GAFAM qui étaient, je cite, « élevés au rang de divinité mondiale ». Les archéologues ont aussi noté que la période du webocène inférieur était marquée par la présence de nombreux fils d’alimentation. Ils auraient survécu bien plus longtemps que leurs propriétaires, on les retrouve encore dans des fouilles archéologiques en 120 024. Selon les estimations, un seul individu pouvait posséder jusqu’à 200 fils pour son propre usage. Les usagers avaient tendance à les conserver même après leur vie utile, en les enterrant dans une sorte de fosse domestique (ils doivent parler de la cave), nous laissant croire, je cite, « à une certaine vénération de l’objet ». Le temps que l’humanité a mis avant de se débarrasser de la technologie filaire témoignerait, selon les auteurs du livre, « d’une certaine volonté des individus de maintenir des liens physiques entre eux, alors qu’on entrait de plein pied dans l’ère de la dématérialisation ». Oui, parce qu’il y a aussi une ère géologique qui aurait commencé après le « grand carbonicide », avec la dématérialisation des êtres vivants en être numériques.

Il y a plein d’autres chapitres dans ce livre, mais franchement, les chapitres du webocène supérieur je les comprends pas très bien, tsé l’ouvrage est vulgarisé pour des lecteurs du 121e siècle… En tous cas, en 120 024, visiblement, il y a encore des archéologues. Il n’y a pas de métier plus essentiel que celui de prédire le passé. Y en a qui disent que prédire le passé, ça revient un peu à prédire notre futur. Moi je ne suis pas d’accord. Je crois encore qu’on est capables d’apprendre de notre passé pour s’écrire un futur intelligent. Enfin, vous me direz ce que vous en pensez.

Je vais reposer le livre dans le croque-livre ce soir, pour ceux que ça intéresse.

Requête au Bureau International des Poids et Mesures

Les blobs

Texte interprété par l’actrice Véronick Raymond dans le cadre du Festival Tout’ tout court 2019.

LesBlobs_fttc2019

La tomate de serre et la tomate de jardin

« Au faîte de l’été la tomate de serre
Invite la tomate de jardin
D’une façon fort sincère
À un repas des plus divins. »

Lire la suite du texte ici

Conte gastronomique conçu pour le Grand défilé de la tomate des Amis du Jardin Botanique de Montréal.

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑